La controverse du chenal droit du lac Saint-Pierre, 1844-1847

Extrait d’un article publié dans le numéro d’automne 2022 de la revue Histoire Québec : PÉLOQUIN, Claude. « Le chenal droit du lac Saint-Pierre, 1844-1847 », Histoire Québec, vol. 28 no. 1, 2022.

Extrait d’un article publié dans le numéro d’automne 2022 de la revue Histoire Québec : PÉLOQUIN, Claude. « Le chenal droit du lac Saint-Pierre, 1844-1847 », Histoire Québec, vol. 28 no. 1, 2022.

Été 1844. Pour y faciliter la navigation, les employés du Board of Works de la province du Canada commencent les premiers travaux de dragage dans le lac Saint-Pierre. Ces travaux avaient pour objectif le remplacer ce chenal principal dans la partie nord du fleuve — le tracé naturel, jugé trop croche — par un chenal artificiel qui serait « droit », ou « direct », dans la partie sud du fleuve.

Trois ans plus tard, en septembre 1847, alors que onze des treize kilomètres prévus ont été creusés, mais seulement à la moitié de la profondeur et de la largeur espérées, et au double du coût initialement estimé, le projet est abandonné, considéré comme un échec total. C’est cette carte, publiée en 19011, qui a attiré mon attention sur ce chenal abandonné :

Section de la carte River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec, (1901)

Section de la carte River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec, (1901)

« Straight channel abandonned in 1847 »

« Straight channel abandonned in 1847 »

Lorsque l’on relance le dragage de cette section du Saint-Laurent en 1851 — cette fois sous la direction des commissaires du Havre de Montréal —, c’est dans le chenal dit « naturel », au nord, qu’on décide de creuser, et c’est ce tracé courbé que la navigation suit depuis.

Pourquoi avait-on choisi de commencer un nouveau chenal artificiel dans une partie moins profonde du lac, plutôt que d’améliorer le chenal déjà existant? Et pourquoi revenir sur cette décision après y avoir tant investi? L’examen des documents techniques et politiques existants ne permet pas en soi de confirmer ni de réfuter l’hypothèse, aussi simpliste puisse-t-elle être, que le tracé droit aurait pu avoir été préféré justement parce qu’il était plus ambitieux et plus coûteux2. Ceci dit, les controverses concernant l’usage des fonds et le traitement des employés suggèrent que la préférence esthétique « moderne » pour un canal rationnellement droit (davantage compatible avec, comme le dirait l’anthropologue James Scott, la préférence de l’état pour les processus de simplification, d’abstraction et de standardisation qui rendent lisible le monde social et naturel3) se soit bien harmonisé aux efforts des gouvernants et ingénieurs pour maximiser leur capture des fonds publics attribués à ces travaux.

Ce profil longitudinal du fleuve, publié en 1883, illustre bien le relief des hauts-fonds du lac Saint-Pierre avant le dragage4 :

Profile of the River St. Lawrence between Montreal and Quebec, 1883.

Profile of the River St. Lawrence between Montreal and Quebec, 1883.

Agrandissement du profil de 1883.

Agrandissement du profil de 1883.

Sunset on Lake Saint Peter, July 1882 par Henri Joly de Lotbinière. Musée du Québec, BAnQ Québec

Sunset on Lake Saint Peter, July 1882 par Henri Joly de Lotbinière. Musée du Québec, BAnQ Québec

Notes


  1. PUBLIC WORKS OF CANADA « River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec », 1901. Canadian Sessional Papers Maps (1901 - 1925), Vol. 36, Issue 07 Sessional Paper # 35a, University of Toronto Maps and Data Library↩︎

  2. PÉLOQUIN, Claude. « Le chenal droit du lac Saint-Pierre, 1844-1847 », Histoire Québec, vol. 28 no. 1, 2022, URL↩︎

  3. SCOTT, James C. L’œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, Paris, La Découverte, 2021, trad. Olivier Ruchet. ↩︎

  4. HARBOUR COMMISSIONERS OF MONTREAL, « Profile of the River St. Lawrence between Montreal and Quebec », 1883, McGill University Library↩︎