Modifications de l’archipel du lac Saint-Pierre

(Texte en préparation : recension des grandes modifications délibérées de la géomorphologie de l’archipel du lac Saint-Pierre.)

Travaux de dragage

La carte de la voie navigable du Saint-Laurent entre Montréal et Québec (1901) présente un bon point de départ pour visualiser les travaux entrepris entre ces deux villes de 1897 à 1901.

« Toutes les équipes d’hommes travaillant sur les différents bâtiments servant au dragage (1900) », figure A. 6 dans Côté et Morin, 2007a

« Toutes les équipes d’hommes travaillant sur les différents bâtiments servant au dragage (1900) », figure A. 6 dans Côté et Morin, 2007a

Avant ces travaux, la profondeur moyenne du lac Saint-Pierre était autour de 3 m, avec un chenal d’une profondeur autour de 3,5 m.

Le dragage par le Bureau des travaux en 1844 (et abandonnés en 1847) visait le creusage d’un chenal de 4,3 m de profondeur (14 pieds). À l’époque de la préparation de cette carte, en 1901, on s’occupe à augmenter la profondeur de ce chenal à 10 m (30 pieds) avec des sections à 8,2 m (27 pieds). C’est deux fois la profondeur visée en 1844.

Carte « River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec » publiée par le « Department of Public Works » du « Government of Canada », 1901

Carte « River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec » publiée par le « Department of Public Works » du « Government of Canada », 1901

Section de la carte précédente montrant l’archipel du lac Saint-Pierre en 1901

Section de la carte précédente montrant l’archipel du lac Saint-Pierre en 1901

Profil des travaux en cours en 1901, « River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec »

Profil des travaux en cours en 1901, « River St. Lawrence ship Channel between Montreal and Quebec »

Principales interventions humaines survenues dans le fleuve Saint-Laurent entre Montréal et Québec

Les recherches de Jean Morin et Jean-Philippe Côté, du Service météorologique du Canada (Environnement Canada), publiées en 2007 (et un résumé en 2003) offrent la synthèse la plus complète sur l’ensemble des modifications anthropique de l’hydrographie du fleuve entre Montréal et Québec.

Évolution des superficies draguées dans le fleuve Saint-Laurent entre 1847 et 2007, figure 9 dans Côté et Morin, 2007b)

Évolution des superficies draguées dans le fleuve Saint-Laurent entre 1847 et 2007, figure 9 dans Côté et Morin, 2007b)

Le diagramme ci-haut est à mon avis la meilleure représentation de l’évolution de la profondeur et de la largeur du chenal. On y constate que dans son ensemble, une longueur de 165 km du fleuve (soit 65 % de la distance totale entre Montréal et Québec) a été touchée par l’approfondissement et l’élargissement du chenal maritime. Ceci inclut la totalité de la distance entre Sorel et l’embouchure du lac Saint-Pierre, segment qui a surtout été creusé en 1882, en 1886, en 1907, en 1936 et en 1992.

La partie à gauche du diagramme démontre l’évolution séquentielle du chenal de navigation qui passe d’une profondeur de 4,3 m et d’une largeur de 46 m en 1847, à une profondeur de 10,7 m et une largeur de 137 m en 1936. Les travaux de dragage de 1952 et 1971 visent l’élargissement du chenal, qui conserve la profondeur atteinte en 1936 (10,7 m), mais atteint une largeur minimale de 167 m et puis 244 m et un élargissement considérable des courbes (Côté et Morin, 2007b, p. 24).

  • En 1992 et en 1998, on réduit la largeur de la profondeur maximale à 230 m, plutôt que 244 m, laissant « près de 7 m de chaque côté à une profondeur de 10,7 m afin de minimiser le dragage d’entretien » (Procéan, 1996, cité dans Côté et Morin, 2007, p. 25) :

  • « En 1998, la Société du Port de Montréal finança un projet controversé, dit de “surcreusage”, visant à garantir la profondeur du chenal à 11,3 m entre Montréal et Deschaillons. Il s’agissait principalement d’écrêter les zones d’accumulation et les dunes présentes à certains endroits. Dans le lac Saint-Pierre, les travaux de dragage ont eu lieu entre le 27 août et le 15 novembre de la même année. On y dragua sur toute la superficie du chenal de cette section un total de 116 700 m3 (sur un total dragué d’environ 200 000 m3 entre Montréal et Deschaillons). » (Côté et Morin, 2007b, p. 26).

Dates clés de l’approfondissement et élargissement du chenal

AnnéeProfondeurLargeur
18474,3 m46 m
193610,7 m137 m
195210,7 m167 m
197110,7 m244 m
199211 m230 m
199811,3 m244 m

Le vaste projet de Côté et Morin a mené à une reconstitution numérique de la bathymétrie historique du fleuve. Voici une sélection des illustrations issues de cette reconstitution qui portent sur l’archipel du lac Saint-Pierre (la majorité d’entre elles furent publiées en 2003 dans VertigO — la revue électronique en sciences de l’environnement).

Reconstitution numérique en deux dimensions du lac Saint-Pierre à différentes époques, figure 8 dans Morin et Côté, 2003.

Reconstitution numérique en deux dimensions du lac Saint-Pierre à différentes époques, figure 8 dans Morin et Côté, 2003.

Reconstitution numérique en trois dimensions du lac Saint-Pierre à différentes époques, figure 9 dans Morin et Côté, 2003.

Reconstitution numérique en trois dimensions du lac Saint-Pierre à différentes époques, figure 9 dans Morin et Côté, 2003.

Les dépôts des sédiments dragués

Pour reconstituer la distribution spatiale des anciennes zones de dépôt des matériaux dragués, Côté et Morin ont combiné analyse de cartes anciennes et interprétation géomorphologique des cartes bathymétriques modernes à haute densité pour identifier les anciennes zones de dépôt. (C’est-à-dire des dépôts faits avant les années 1960 et pour lesquels il n’existait pas de données précises.)

La carte ci-bas, issue de cette recherche, illustre les zones de dépôts faisant suite aux travaux entre 1844 et 1907 (l’article de 2003 ajoute aussi l’emplacement des dépôts entre 1907 et 2007). On peut y voir, dans la partie sud du lac, les dépôts issus du dragague du chenal droit commencé en 1844 et abandonné en 1847.

Évolution des zones utilisées pour le dépôt de matériel dragué dans le lac Saint-Pierre, figure 5 dans Côté et Morin, 2007a.

Évolution des zones utilisées pour le dépôt de matériel dragué dans le lac Saint-Pierre, figure 5 dans Côté et Morin, 2007a.

Beaucoup plus tard, cette question des dépôts, surtout concernant leurs impacts environnementaux, était au centre de la controverse concernant le dragage de 1998. Par exemple, la Société pour vaincre la pollution exigeait la tenue d’audiences publiques concernant le projet, et la population s’est opposée au dépôt de sédiments dans les zones prévues à cette fin par la Garde côtière du Canada, en face de Yamachiche.

L’île aux Sternes

Bien qu’en dehors de la zone de l’archipel du lac Saint-Pierre proprement dit, un des dépôts de sédiments le plus volumineux fut sans doute celui qui a mené, entre 1965 et 1968, à la création de l’île aux Sternes, dans la partie nord-est du lac, à une dizaine de kilomètres en amont de Trois-Rivières. Plus d’un million de m3 de limon et d’argile creusés dans le cadre des travaux de dragage dans le secteur de Port-Saint-François y furent déposés, créant une île de 35,5 ha et d’une altitude de 6 m (avec un dénivelé de 2 m).

L’article Wikipédia au sujet de cette île indique que : « dès sa création, elle a été considérée par les scientifiques comme un milieu naturel en formation et son évolution est suivie avec intérêt, pour étudier la genèse de la flore sur les îles du Saint-Laurent ».

En 1973, on y remarque qu’une colonie de sternes pierregarins s’y était installée, de là son nom, bien que les sternes aient depuis quitté l’île après la croissance de la végétation.

En 1981, le Gouvernment du Québec décide de protéger cet habitat en y créant la Réserve écologique de l’Île-aux-Sternes. Et puis le site est renommé, en 2002, pour devenir la Réserve écologique Marcel-Léger, en l’honneur de Marcel Léger, ministre de l’Environnement de 1979 à 1982 (et également cofondateur de la firme de sondage Léger et Léger).

La notice du site du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques concernant cette réserve présente de l’information d’intérêt sur sa géomorphologie et son écologie :

Les matériaux de dragage ayant formé l’île sont issus de sédiments fins de la mer de Champlain. Empilés en vrac et nivelés, ces matériaux ont subi un remaniement superficiel par l’action de l’eau et du vent. L’existence de l’île est beaucoup trop récente pour que les sols puissent présenter le moindre développement pédogénétique.

La végétation a progressivement envahi le site ; elle s’est adaptée et diversifiée au gré des types de substrats et des conditions de drainage. L’île comporte un milieu littoral d’eau douce et un milieu terrestre totalement submergé au printemps.

Cette végétation, presque anarchique au départ (inventaires de 1970, 1972 et 1974), est maintenant beaucoup plus spécialisée et s’apparente à la section alluviale du Saint-Laurent et aux rives du lac Saint-Pierre. Les groupements s’ordonnent en bandes grossièrement parallèles, rendant compte de particularités liées au substrat, aux conditions de drainage, à la période de submersion et à la vitesse du courant. Se succèdent des groupements semi-aquatiques à rubanier à gros fruits, à sagittaire latifoliée, une prairie à scirpe américain et des arbustaies ou jeunes forêts dominées par le saule noir ou le peuplier deltoïde. Le secteur le plus élevé de l’île est colonisé par une prairie à phalaris roseau et à calamagrostis du Canada. Une espèce floristique susceptible d’être désignée menacée ou vulnérable a été recensée sur l’île : Strophostyles helvula.

Quant à la faune, l’île aux Sternes, située le long d’une des plus importantes voies de migration pour les oiseaux aquatiques, constitue une escale pour ces oiseaux. Goélands, bécasseaux et autres échassiers s’arrêtent sur les grèves sableuses au cours de leur migration. La bécassine, les râles et la sterne commune nichent dans les milieux semi-aquatiques.

Les reversoirs (digues) des îles de Sorel

Une autre transformation majeure de l’archipel fut la construction d’ouvrages de contrôle hydrologiques pour augmenter le débit du chenal principal en réduisant le débit des autres chenaux.

De tels ouvrages étaient considérés au 19e siècle, mais sans suite. À partir de 1915, on commence à déposer des matériaux de dragage aux sites ou l’on envisage de construire ces reversoirs : « dans le chenal aux Corbeaux (entre l’île de Grâce et l’île Lapierre), dans le chenal des Barques (entre l’île aux Barques et l’île du Moine), et dans le chenal du Moine » (Côté et Morin, 2007b, p. 45).

Finalement, cinq digues sont construites de 1928 à 1931, entre les îles aux Barques et du Moine ; de Grâce et Ronde ; Ronde et Madame ; Saint-Ignace et Dorvilliers ; et Dorvilliers et du Milieu (Morin et Côté, 2003).

Emplacement des reversoirs des îles de Sorel construits entre 1928 et 1931, figure 19 dans Morin et Côté.

Emplacement des reversoirs des îles de Sorel construits entre 1928 et 1931, figure 19 dans Morin et Côté.

Selon Briand (1963, cité dans Côté et Morin, 2007b), ces digues auraient mené à l’augmentation de l’écoulement dans le chenal principal de 25 à 85 % du débit total.

Cela dit, ces digues ont été d’un succès limité. Elles ont, depuis le début, souffert de l’érosion causée par les forts débits et la glace. Des travaux de réparation et de stabilisation sont : à répétition dans les années 1930 et 1940, et en 1953, 1962, 1965 et 1995.

Malgré ces travaux répétitifs, les reversoirs demeurent érodés et submergés, et leur effet sur le niveau d’eau est fort limité. En 1963, on estime que ces ouvrages auront augmenté le niveau d’eau de 12 cm au Port de Montréal et de 29 cm à Sorel (Briand, 1963, cité dans Côté et Morin 2007b). Plus tard, des travaux de modélisation plus précis (Dumont 1996, cité dans Côté et Morin 2007b) suggèrent plutôt une augmentation de 1 cm à 7 cm au Port de Montréal et de 4 cm à 18 cm à Sorel, selon l’hydraulicité.

Références

Briand, J. (1963). Survey of the Sorel Weirs. Department of Transports, St. Lawrence ship channel division, Hydraulic section.

Côté, J.-P. et J. Morin (2007a). Principales interventions humaines survenues dans le fleuve Saint-Laurent entre Montréal et Québec au 19è siècle : 1844-1907. Rapport technique SMC Québec — Section Hydrologie, RT — 140, Environnement Canada, Sainte-Foy. 112 pages + annexes.

Côté, J.-P. et J. Morin (2007b). Principales interventions humaines survenues dans le fleuve Saint-Laurent entre Montréal et Québec au 20è siècle 1907-2005. Rapport technique SMC Québec Section Hydrologie RT — 141, Environnement Canada, Sainte-Foy. 65 pages.

Dumont, S. (1996). Étude des impacts des reversoirs de Sorel sur l’écoulement et les niveaux d’eau dans le tronçon Montréal-Sorel du fleuve Saint-Laurent. Pèches et Océans Canada, Garde côtière, Région Laurentienne. 9 pages + annexes.

Morin, J. et Côté, J.-P. (2003). Modifications anthropiques sur 150 ans au lac Saint-Pierre : une fenêtre sur les transformations de l’écosystème du Saint-Laurent. VertigO — la revue électronique en sciences de l’environnement, 4 (3). p. 1-10. DOI : 10.4000/vertigo.3867